mardi 20 octobre 2015

2 – LECTURE
(Lecture à haute voix des chapitres ajoutée le 12/12/2015)

De 3 chapitres, par Anja Stockmeyer, 20/10/15

a) Le Grand Cahier, Agota Kristof, Éditions du Seuil, 1986

b)
L’école, le 10e chapitre du livre, est un des rares moments où le lecteur apprend quelque chose du passé et des parents des jumeaux. Ainsi il en apprend un peu plus sur l’âge des ceux-ci : ils ont été scolarisés il y a trois ans. Et il comprend pourquoi ils ne vont plus à l’école. En plus, ce chapitre met aussi en valeur le caractère précoce et inséparable des deux frères.
L’achat du papier, du cahier et des crayons, le 11e chapitre du livre, témoigne de la hardiesse des jumeaux et de comment ils se procurent les instruments de leur éducation sans pouvoir et devoir les payer.
Nos études, le 12e chapitre du livre, est le moment crucial pour comprendre que ce que nous lisons est, en effet, le Grand Cahier, la collection de rédactions écrites par les jumeaux dans le cadre de leurs études menées à la place d’école. Nous comprenons aussi mieux quelques questions formelles du livre. Le fait qu’ils sont en manque de papier explique la brièveté des chapitres qui ne sont jamais plus longs que trois pages. Le but déclaré des jumeaux de décrire la vérité objective explique leur style sec, jamais émotionnel, même face à des expériences affreuses.

c) L’école rapporte l’entrée à l’école des jumeaux. Il raconte comment leur père y voulait les mettre en différents classes et ainsi les séparer, un projet qui finalement ne marchait pas. Ceci s’est passé trois ans avant les événements chez la grand-mère. Au fil de la guerre, l’école devait s’arrêter et c’est chez leur grand-mère que les frères décident « de poursuivre [leurs] études sans instituteurs, seuls. »
Dans L’achat du papier, du cahier et des crayons, les jumeaux vont dans un magasin pour s’acheter du papier et des crayons, objets dont ils ont besoin pour pouvoir poursuivre leurs études comme ils l’ont décidé à la fin du chapitre précédent. Ils admettent volontairement au propriétaire du magasin qu’ils n’ont pas d’argent. Si au début, ce libraire ne veut rien leur donner, suite à leur insistance (d’abord silencieuse, puis par des offertes non-financières), suite à leur performance prématurée qui le perturbe et à leur apparition sans le moindre signe de capitulation, il finit par jeter le papier, les crayons et le cahier vers la porte pour ainsi faire sortir les garçons, sans accepter les offertes qu’ils lui ont faites.
Dans Nos études, les jumeaux expliquent comment à la place d’aller à l’école, ils procèdent à leurs études de façon indépendante. Ils décrivent les différentes matières où ils s’entraînent, surtout les leçons de rédaction. Pendant celles-ci, les frères rédigent, au brouillon, ce qu’ils vivent. Ces compositions suivent des règles et critères stricts. Au nom de la vérité, toute marque de subjectivité doit y être enlevée. Les textes qui remplissent assez ces critères sont enfin copiés dans le Grand Cahier. Le lecteur réalise que le livre qu’il est en train de lire est la collection de ces textes.

d)
« Nous allons à l’école pendant deux ans et demi. Les instituteurs partent aussi au front ; ils sont remplacés par des institutrices. Plus tard, l’école ferme car il y a trop d’alertes et de bombardements.
Nous savons lire, écrire et calculer.
Chez Grand-Mère, nous décidons de poursuivre nos études sans instituteurs, seuls. »
L’école, page 28

Ce premier extrait est tiré de la fin du chapitre « l’école ». Les jumeaux viennent d’arriver chez leur grand-mère. C’est un des rares moments où ils racontent des faits qui se sont passés avant leur arrivée dans la « Petite Ville ». Sur quelques lignes, ils résument leur carrière scolaire, ce qu’ils ont appris jusqu’alors et leur projet de continuer leur éducation.
Ce qui est très frappant dans ce texte est le manque de presque toute marque de subjectivité de sorte que même s’il est raconté d’un narrateur-personnage (ou de deux narrateurs), la focalisation semble être plutôt externe qu’interne. Le lecteur apprend des éléments de la vie des jumeaux - mais non pas de leurs sentiments ou opinions face à ce qu’ils vivent. De plus, rien n’informe sur le temps ou le lieu où les narrateurs se trouvent quand ils racontent l’histoire. En effet, tout est rapporté au présent, même si c’est un sommaire de presque trois ans. Le « nous » est le seul déictique, le seul signe de subjectivité.
On peut aussi remarquer l’isolement croissant du « nous » et qui est amené selon une gradation : le fait qu’ils ont d’abord des instituteurs ; ensuite il ne reste que des institutrices et que, finalement, ils sont « sans instituteurs, seuls ».
Et aussi la phrase « Nous savons lire, écrire et calculer », qui d’une certaine manière définit ici le « nous », forme un paragraphe à elle seule : ils sont seuls à porter la « civilisation ».
Mais d’autre part, cette phrase démontre aussi que c’est un « nous » conscient de lui-même. Le « nous » connaît ses propres facultés. Le « nous » ne semble pas non plus perdu dans le temps, mais suit un ordre chronologique. Le « nous » n’est pas une simple victime des événements qui l’entourent. Il démontre la résolution de continuer – même s’il est seul.
Mais pourquoi le « nous », s’il peut parler de ses facultés, ne parle pas de son vécu, de ses sentiments ou opinions, reste sans réponse.


« Nous écrirons : « nous mangeons beaucoup de noix », et non pas : « Nous aimons les noix », car le mot « aimer » n’est pas un mot sûr, il manque de précision et d’objectivité. « Aimer les noix » et « aimer notre Mère », cela ne peut pas vouloir dire la même chose. La première formule désigne un goût agréable dans la bouche, et la deuxième un sentiment.
Les mots qui définissent les sentiments sont très vagues ; il vaut mieux éviter leur emploi et s’en tenir à la description des objets, des êtres humains et de soi-même, c’est-à-dire à la description fidèle des faits. »
Nos études, page 33

Ce deuxième extrait est tiré de la fin du 12e chapitre, L’école. Les jumeaux rapportent la construction de leurs études qu’ils entretiennent à eux-mêmes, comme décrit plus haut.
De nouveau, c’est un texte sans discours direct. Mais si le premier extrait était une pièce de narration racontant des actions, ici, on est plutôt dans un texte de type descriptif. Le texte décrit les critères sur lesquels les jumeaux jugent leurs compositions « bien » ou « pas bien ». Avec cet aspect de conditionnalité mais aussi avec le futur « nous écrirons », le texte s’ouvre même d’une côté prescriptif et devient une sorte de mode d’emploi indiquant comment les deux frères doivent écrire leurs compositions.
Comme le livre consiste en ces compositions, cet extrait peut aussi être vu comme une clé de lecture redondant.
Le lecteur, avec ce deuxième extrait, voit que la manque de subjectivité soulignée au premier extrait ne naît pas d’une incompétence des narrateurs, mais est volontairement utilisée pour ainsi obtenir la sûreté, la précision, enfin « la description fidèle des faits » qu’ils recherchent.


LECTURE DES CHAPITRES

L'école 



L'achat du papier, du cahier et des crayons



Nos études


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