Le poids du
monde
Hier, j’ai rencontré une femme qui m’a dit qu’elle m’avait vu, il y a dix
ans, très maigre avec un pantalon de velours. C’était une femme qui avait déjà été
partout et qui avait parlé partout avec les gens du pays pour connaître leurs modes
de vie. Elle avait aussi fait tout ce qu’on devait avoir fait selon la mode
présente. Maintenant elle était ici dans la capitale pour « prendre des
contacts pour un garçon que je connais depuis longtemps ». Elle habite en
Champagne avec un physicien et un sociologue; ils possèdent une poule qui pond
quelquefois un œuf. Tout à coup j’ai eu besoin
de boire une eau-de-vie sur quoi elle a voulu aller acheter une salade et un
avocat. Elle avait la manie de toujours raconter tout ce qu’elle avait déjà
fait, tout ce qu’elle était en train de faire et tout ce qu’elle ferait; et
quand je lui ai demandé si elle n’était peut-être pas quelquefois paresseuse,
elle s’est sérieusement indignée, sur quoi je lui ai dit qu’il était pourtant dommage
de voir combien de personnes inoccupées faisaient immédiatement et
continuellement état de leurs innombrables occupations. Puis je lui ai raconté
l’histoire de R. Mitchum et de sa piscine et que je préférais aussi, comme lui,
répondre à tous ceux qui me demandaient ce que j’étais en train de faire:
« Rien. Je suis couché comme toujours à côte de ma piscine. » Je me
suis éloigné vite de la femme et je lui ai dit qu’on se reverrait peut-être
dans dix ans. Après, j’ai eu un peu pitié d’elle, mais je ne sais pas jusqu’à
présent de quelle façon on peut aider ces gens-là à se trouver soi-même et à
rencontrer les autres. Peut-être en leur donnant une gifle?
(d’après P. Handke, dans Le poids du
monde, un journal)
Explication de grammaire
1.
Le contraste entre le passé composé et l’imparfait :
On utilise le passé composé pour des actions ponctuelles qui sont terminées et
entières. Cependant on choisit l’imparfait pour des actions du passé dont la
durée de l’action n’est pas définie, pour les descriptions et pour les actions
qui se répètent.
2.
Attention au verbe « demander » !
Nombreuses des personnes pensent à cause de l’allemand que c’est « demander
qch qn » (complément d’objet direct). Mais c’est faux. Il s’agit d’un
complément indirect, donc « demander qch à qn. Un autre verbe qu’on
utilise souvent incorrectement est « aider ». Celui-ci est lié à un
complément direct, donc « aider qn ».
3.
Concordance des temps dans le
discours indirect: Si le verbe de la phrase introductive est au présent (ex.: il
dit), les temps du discours restent les mêmes. Dans certains cas il faut
changer la personne du verbe (1re personne → 3e personne) ou les adverbes temporels. Exemple : Il
dit : «Je me lave tous les matins.» →Il raconte qu’il se lave tous les matins.
Si le verbe de la phrase introductive est à un
temps du passé (ex: il disait), il faut faire une modification des temps
du discours. Le tableau suivant présente les règles de la concordance des
temps :
Discours direct
|
Discours indirect
|
Présent
|
Imparfait
|
Passé composé/passé simple
|
Plus-que-parfait
|
Imparfait
|
Imparfait/plus-que-parfait
|
Futur simple
|
Conditionnel présent
|
Futur antérieur
|
Conditionnel passé
|
Conditionnel présent
|
Conditionnel présent
|
Conditionnel passé
|
Conditionnel passé
|
Ex : Il a
dit : «Elle a fait un gâteau.»
→ Il a dit qu’elle avait fait
un gâteau.
Il a raconté : «Dans un mois, je serai à
Paris.»
→ Il a raconté qu’un mois plus
tard, il serait à Paris.
Le thème du texte
Peter Handke est un écrivain et traducteur autrichien et est né en 1942. Le poids du monde, écrit entre novembre
en 1975 et mars 1977, est composé de 14 carnets et constitue son journal. Mais selon Laurent Javaloyes et Pierre Maillet « ce n'est pas un journal au sens habituel du terme; il ne s'agit ni
d'introspection, ni de considérations sur le cours du monde, mais de notations
anonymes - encore que personnelles au plus haut point - accessibles à chacun. »
Donc, il s’agit
ici d’un texte à la première personne qui nous raconte une expérience personnelle
avec une femme. Celle-ci ne fait pas grande chose dans sa vie et ne travaille
pas, mais en même temps elle observe toujours les autres, commente leurs
actions et se plaint d’eux. Le journal est fait de situations différentes où « transparaît un autre poids du monde, celui qu'on porte sur le dos
sans forcément le savoir »[1].
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