vendredi 4 décembre 2015

6 – RENCONTRER (version révisée 10.12.2015)
04.12.15, Anja Stockmeyer

Mulhouse, un soir de novembre 2015. Le ciel gris de la nuit qui va bientôt tomber est reflété par les immeubles sombres et usés. Passons par un parc où des jeunes traînent à côté de quelques enfants jouants, jusqu’à un bâtiment long et bas : un foyer pour de jeunes demandeurs d’asile. C’est là que j’ai rendez-vous avec R., une jeune Pakistanaise qui est depuis plusieurs années en France et que j’ai rencontrée lors de mon volontariat social en France il y a à peu près deux ans.
Depuis quatre semaines, R. fait un stage, un fait qui a vite attiré mon attention, parce que la recherche d’un travail est un sujet qui, ces derniers temps, m’avait aussi travaillée personnellement. Comment une fille du même âge, mais dans une situation complètement différente de la mienne, vit-elle ce défi ?
Autour d’une tasse de thé noir dans sa chambre très bien chauffée (« J’aime pas le froid. Au Pakistan, il fait beaucoup plus chaud qu’ici » telle son explication), je commence à la questionner sur son emploi. Un peu timide, mais petit à petit, elle répond.

Elle raconte qu’elle travaille dans le service d’un « resto ». C’est elle-même qui, sans aide d’un des responsables du foyer ni de son ancienne école, a trouvé ce stage. Elle ne connaissait pas non plus quelqu’un qui travaille ou a travaillé dans ce restaurant. « Je suis allée au restaurant, tu sais, et j’ai demandé. Il était d’accord, et puis après… », me raconte-elle. Je la demande si le travail lui plaît, elle hésite un moment: « Ça va ». Plus tard, elle ajoute : « Si [Quand] je travaille, c’est difficile. J’aime pas beaucoup de monde. Je pars et reviens vite vite vite. Le resto, c’est rapide, tu vois ? ».
Je lui demande ce qu’elle préférerait comme travail. « J’aime bien le travail de magasin, [le] commerce pour [de] vêtements. » explique-t-elle. Elle insiste sur le fait qu’elle y a déjà de l’expérience. En fait, après être arrivée en France comme mineure, elle a poursuivi ici une formation professionnelle (CAP Vente) et a fait le diplôme.
Mais elle est quand-même contente d’avoir trouvé ce stage au restaurant. Apparemment, ce n’était quand même pas si facile d’être engagée par un « patron ». Elle a dû postuler dans plusieurs magasins et restaurants. Quand je lui demande si son origine pakistanaise a posé problème, elle commence sa réponse avant même que j’aie fini ma question : « Oui, c’est ça, aussi », dit-elle. « Il y a des magasins - j’ai vu deux, trois patrons qui étaient des racistes. Du coup, il m’a demandé : « Tu es de quelle origine ? » J’ai dit : « Pakistan. » Après, il a dit toute suite : « On prend pas » »
C’est un problème que, d’après elle, les jeunes, aujourd’hui, rencontrent fréquemment. Elle raconte comment un ami lui avait demandé si elle connaissait un endroit où il pourrait travailler : « En bas, j’ai un jeune qui m’a demandé : « Est-ce que tu peux trouver un stage pour moi ? » Après, j’ai demandé quel métier. Il m’a dit : « du commerce » Et puis ça, c’est difficile. J’ai dit qu’il va [d’aller] au « Babou », pour demander de lui donner [qu’on lui donne] une convocation de stage. Et il m’a dit : « Non, je suis allé là-bas. ». Beaucoup de magasins ne prennent pas. ». Je lui demande pourquoi elle croit que c’est si difficile de trouver du travail. « Il y a les jeunes qui ne parlent pas bien français. Il y a les jeunes qui –ils savaient pas de travailler [les patrons croient qu’ils ne savent pas bien travailler]. » Elle finit son explication avec un « C’est comme ça » un peu gêné

Après un dîner convivial avec R. et son copain, ils insistent gentiment pour me reconduire à la gare. De retour à Bâle, il y a deux choses qui me tournent encore dans la tête.
D’abord, j’ai remarqué que le français de R., sa langue maternelle étant l’Ourdou, est solide. Mais d’après ce qu’elle m’a raconté, elle ne passe pas beaucoup de temps avec des personnes de langue maternelle française. Elle fait encore pas mal de fautes grammaticales et son vocabulaire n’est pas très varié – sauf dans le domaine du travail. Là, elle connait des mots techniques comme « convocation de stage » que moi, j’ai dû chercher dans le dictionnaire. C’est donc vraiment un domaine à propos duquel les Français lui ont souvent parlé et qui l’a beaucoup occupé, peut-être plus qu’elle semblait le faire pendant l’interview.
Puis, dans la conversation qui a suivi l’interview, R. m’a confié qu’en vérité, elle n’avait pas la permission de travailler, parce qu’elle attend encore le résultat de l’examen de sa demande d’asile (donc si le statut de réfugiée lui est octroyé ou pas). J’ai fait une petite recherche sur internet et, en effet, il n’est permis aux demandeurs d’asile de travailler que par une autorisation officielle qui dépend de plusieurs facteurs, notamment du niveau de chômage dans la société de la région en général. (http://www.info-droits-etrangers.org/index.php?page=2-4-3#asileA, 04.12.2015) Le fait que R. ait quand même fait un grand effort pour trouver un emploi, même si elle n’en est pas autorisée, nous indique peut-être dans quelle mesure c’est important pour elle d’avoir une activité raisonnable, afin qu’elle ne traîne pas toute la journée, se sentant inutile. Je me rappelle aussi le temps où R. était encore à l’école et où elle m’avait raconté que les vacances étaient le pire moment de l‘année parce qu’elle ne avait aucune occupation.
Cela me fait penser, que la relation de R. à son travail diffère de la mienne : dans ma situation, le travail serait une alternance agréable à côté des études. Chez R., dans un sens élargi, c’est un moyen crucial pour se sentir précieuse.

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