mercredi 9 décembre 2015

VOIR-ÉCOUTER (version révisée 12/12/2015)
08/12/2015 par Anja S.

Débat télévisé sur la relation entre islam et laïcité en France (2 mars 2011)


Avec :
Guillaume Durand (Animateur)
Serge July, journaliste
Mahmoud Doua, imam
Tariq Ramadan, islamologue et professeur
Yves Thréard, journaliste
Patrick Sébastien, humoriste, producteur
Et autres


Certaines parties ont été coupées pour des raisons de duration. Pour voir l’extrait entier (qui malheureusement ne montre pas l’intégralité de la séance) : https://www.youtube.com/watch?v=2Gne0dbvteg)



SJ:       (…)
            Ce qui est intéressant- euh - on fait l’émission-là –euh - aujourd’hui,… En trois - en trois jours, depuis le remaniement, on est passé du débat sur l’Islam au débat sur la laïcité. C’est pas exactement pareil, hein ?
(…)
GD :    Voilà. J’voudrais qu’on y réagisse mais je veux d’abord demander une question qui est importante à Mahmoud Doua, puisque que vous êtes imam vous-même, donc à Bordeaux, et universitaire, dans ce dossier du Monde, il y a une semaine, on disait : « Les problèmes de l’islam en France, c’est qui va payer pour les mosquées. Est-ce que les laïques doivent payer, peuvent payer ? » Le deuxième problème, c’était les imams, c’est-à-dire des imams qui, en gros, prêcheraient pas en français et en partie contre les lois de la laïcité en France. Est-ce que – je veux pas vous mettre en cause, directement-
MD :   Non, non…
GD :    - Mais est-ce que vous avez l’impression que les gens qui ont la même occupation et les mêmes croyances que vous, majoritairement, sont dans ce cas-là, ou est-ce que, au contraire, ils s’inscrivent clairement dans un principe –  c’est important que vous disiez ce soir si c’est le cas – dans un principe laïque ?
MD :   Alors, c’est très simple. C’est- c’est toujours par rapport a, euh, aux mêmes questions, euh, eh… la question de la construction des lieux de culte. Moi, j’ai suivi les débats. On parle de la réforme de la loi [de] 1905. Les musulmans et les acteurs musulmans ne demandent qu’une seule chose, comme les Algériens à l’époque coloniale : ils ne demandent que l’application de la loi [de] 1905. Que dit la loi [de] 1905 ? L’état garantit la liberté de conscience et le libre exercice du culte. C’est une loi qui interdit le financement publique des lieux du culte construits après 1905 [qui] a été réformée en ’66. Pourquoi ? Pour financer les églises dans les nouvelles villes, dans les nouvelles périphéries. Et ils ont trouvé un aménagement de la loi et non pas la réforme sur deux points essentiels : ce qu’on appelle le bail emphytéotique qui permet aux autorités locales de - d’offrir un terrain, ce que Juppé va faire pour la mosquée de Bordeaux. Et de – le bail emphytéotique - Et ce qu’on appelle la garantie d’emprunt. Donc il - on n’a pas besoin de réformer la loi [de] 1905. Les musulmans se trouvent aujourd’hui dans une situation d’inégalité. C’- lorsque les gens prient dans la rue, c’est parce qu’il n’y a pas d’espace, c’est pas parce qu’ils voulaient prier dans la rue, d’abord, ça sont des, des cas très -
YT :     (l’interrompt) i’y a, i’y a
MD :   (continue) euh, très minoritaires…
YT :     (continue de sa part) i’y a dix-sept cas, dix-sept cas…
MD :   dix-sept cas à Paris. Et je vous donne juste une information pour vous dire combien on– on - on ment aux Français. La Mosquée dont on parle au 19e -
            Voix :  Rue Myrha
MD :   - Oui, il y avait la Mosquée Dawa. C’est une mosquée qui peut accueillir trois milles fidèles, aujourd’hui, en construction. La mairie, au lieu de donner une grande salle pour les musulmans de prier, ils se sont repli[é]s sur les petits salles. Ce qui trouve que les musulmans s’- prient dans la rue. Et d’ailleurs, j’vais tout à l’heure interpeller, euh -
YT :     (l’interrompt) ça, c’est une fausse information, Monsieur, parce que j’ai fait un reportage, y a vingt-cinq ans sur le même site, et je peux vous dire qu’ils priaient déjà dans la rue -
MD :   non, non, parce qu’il n’y a pas d’espace, pace qu’il n’y a pas de mosquée
YT :     (en même temps)- I’y a une volonté, absolument pas. C’était une volonté –
MD :   non, non
YT :     - c’était une volonté
MD :   C’est grave de le dire.
GD :    (les interrompt) Eh, écoutez Yves Thréard, c’est important. Oui ou non ?
MD :   Alors, donc les musulmans - l’Islam -
YT :     (l’interrompt) Je l’ai écrit.
GD :    Doua
MD :   - les - le - le – l’ – il n’y a pas de problème entre l’Islam et la laïcité. Au contraire, la laïcité protège l’Islam -
Voix :  Hm
MD :   - la laïcité protège la religion –la - la reli – la laïcité protège même l’Islam de ses dérives radicales.
Voix :  Hm
MD :   Donc, s’il y a – s’il y a des gens qui défendent, qui se sentent à l’aise dans la laïcité, c’est bien sûr nous et les minorités religieuses d’une manière générale.
YT :     Je crois que –
TR :     (en même temps) Alors, j’aimerais juste réagir à ça, parce que –
GD :    Un moment, oui
TR :     - parce que – parce que je pense que –
GD :    Un moment, je poserai une question à tous les deux qui me paraît la question centrale-
TR :     - d’accord, oui, mais parce que –mais – ouais.
GD :    - a-a-avec – avec Serge : Qui est justement le rapport – je prends là le nom d’un - d’un livre récent célèbre qui était quand même très contesté – qui est le livre de Zemmour : La mélancolie française. Est-ce que ce qui s’exprime aujourd’hui, ce n’est pas tout simplement, dans ce pays, une espèce de mélancolie de la France d’avant l’arrivée des immigrés, qui s’exprime, je allais presque dire, comme un sentiment, finalement, et qui serait la base de cette espèce d’islamophobie, c’est-à-dire : on - on a cinquante, soixante ans aujourd’hui, on préférait ou pas – tout à l’heure Patrick parlait de ce qui se passait à Souillac dans son enfance – il y a peut-être cette nostalgie -
P :        (l’interrompt) Il en avait déjà plein, hein –
GD :    non…
P :        - i’y avait des Espagnols, idem des Italiens, des Arabes, C’était très bien –
GD :    (l’interrompt) Est-ce que c’est ça qui s’exprime en dehors du trame, du chemin politique –
P :        (Continue en même temps) – C’était bien.
GD :    (l’ignore) – que vous avez déjà exprimé tout à l’heure ?
TR :     Mais – mais écoutez-moi. Ce que j’aimerais dire simplement par rapport à ça, parce que ça me paraît quand même important et – je veux dire – on est en train de nous ramener à un débat sur la laïcité pour ne pas utiliser le mot de « l’Islam ». C’est un débat politicien, c’est un débat qui est en train de tendre entre la droite –
GD :    (l’interrompt) – ce qui a dit Serge tout à l’heure.
TR :     Exactement. Non, mais ce que j’aimerais, c’est que - on revienne aux vrais questions.
(…)
            Il va falloir aujourd’hui que les politiques fassent et accompagnent le processus qui est celui de la nouvelle France. Cette nouvelle France, elle est multicolore. Elle a – elle a les campagnes, elle a les banlieues, elle a des gens de toutes les couleurs. Et la deuxième des choses c’est que, l’autre problème, la fragilité du tissu social français vient aujourd’hui, que, depuis 2005, au lieu de nous ramener systématiquement - parce que le débat sur la laïcité c’est une autre façon de nous ramener au débat sur l’identité nationale. La vraie question, c’est qu’est-ce qui a été fait en France, depuis 2005 après les ém– les émeutes de banlieue. Est-ce qu’on a vraiment une politique sociale qui amenait à l’égalité des droits, c’est ça, la vraie question. Le reste, ce n’est que du - du discours politicien pour déplacer le débat.
GD :    Serge July, justement : Est-ce que c’est une mélancolie française qui s’exprime ? Euh - et est-ce qu’il faut lancer ce débat. Est-ce que c’est utile ou, justement, c’est une perte de temps, voire quelque chose de grave ?
SJ        Les - les débats compliqués de ce type – euh - qui sont toujours dangereux parce qu’ils sont clivants dans la société française, très gravement clivants
(…)
            Finalement, c’est une nouvelle religion qui installe en France – deuxième religion de France – énormément de musulmans en France – il y a cinq millions de musulmans en France, donc – c’est vrai qu’il y a un fait nouveau. Il se trouve qu’il manque de lieu de culte. Euh - i’y a des problèmes de financement, c’est vrai que la loi permet un certain nombre de choses. Mais i’y a un problème de fond–
GD :    (L’interrompt) Mais pourquoi –
SJ :      (continue) – Il faudrait, il faudrait, dis–
GD :    (l’interrompt et continue de sa part) Pourquoi on est passé du constat – cet espèce de bagarre dans –
SJ :      (l’interrompt et continue de sa part) – disait Nikolas Sarkozy, il faudrait financer la construction des mosquées –en tout cas aider à la construction des mosquées.
            (…)
            Je pense, que le fait d’être passé de l’Islam à la laïcité fait qu’on est déjà dans le début de l’enterrement.


d) Deux observations grammaticales/linguistiques – spécifiques à l’oral
·         L’utilisation du « ne »  à l’oral:
À l’oral on n’utilise presque jamais le « ne » dans la négation, le « pas » reste seul ce qui peut être très bien observé dans cette conversation télévisée : « Je_veux pas vous mettre en cause »
Il y a des exceptions : Le « ne » ou « n’ » se trouvent souvent lors des énoncés qui sont, dans leurs formes affirmatives, une phrase souvent utilisée ; c’est à ce N’est, il y a à il N’y a. Mais on trouve également les mêmes formes ou le « n » est quand même élidé ; « cest pas exactement la même chose ».
Il y a aussi des cas où ce n’est pas évident, si le « ne » est utilisé : « on n’a pas besoin » ou « on a pas besoin », où le « n » apparaissait dans la liaison entre « on » et « a » ?
Quant au « n » dans des propositions restrictives (« les musulmans ne demandent qu’une chose), contrairement à la négation, il s’utilise presque toujours. Le « ne » dans une restriction semble être plus pertinent pour le sens de ce qui est dit que celui dans la négation.

·         La recherche de mots et le relâchement de la linéarité syntagmatique
À nouveau un phénomène de la langue parlée : Les locuteurs observent moins strictemment l’ordre correct des mots dans un énoncé.
Il y a plusieurs raisons à ce relâchement de la linéarité syntagmatique. Des fois, le locuteur revient sur un certain mot pour mieux expliquer ou préciser ce qu’il veut dire:

« Et la deuxième des choses c’est que
      -l’autre problème –                         la fragilité du tissu social français

« l’autre problème » précise ici « la deuxième des choses ». (Le locuteur (TR) revient sur le sujet mais continue ensuite au moment où il a quitté l’énoncé.)
Des fois, les locuteurs, surtout au début de l’énoncé, énumèrent plusieurs éléments possibles, afin de trouver le bon, avant qu’ils continuent l’énoncé :

« Alors, les musulmans –
              l’islam – (quelqu’un l’interrompt)
              les –
              le-
              le
              l’ –
il n’y a pas de problème entre l’islam et la laïcité »

Ici, le locuteur (MD), après avoir choisi « l’islam » à la place de « les musulmans », décide même de changer la structure de la phrase : « l’islam », avec lequel il a commencé, se retrouve ensuite à la fin de l’énoncé.
Ce phénomène peut parfois donner l’impression de bégaiement ou que le locuteur se trouve bloqué d’un certain élément:

« combien on -
                  on -
                  on ment aux Français »

On n’est pas sûr si le locuteur (MD) répète le « on » parce qu’il est indécis quant à la suite ou s’il est tellement excité qu’il reste arrêté sur le pronom personnel.

Ces phénomènes se retrouvent aussi dans des textes écrits, par exemple comme énumérations, gradations, propositions insérées etc. Mais le phénomène est spécialement prégnant dans la langue parlée, où les énumérations, répétitions ou interjections peuvent décaler ou même suspendre la fin de l’énoncé – alors que celui-ci est quand même compris par les interlocuteurs. De plus, c’est remarquable comment les locuteurs, cherchant des mots, peuvent produire des énoncés assez longs qui peuvent sembler confondus, mais sont presque toujours achevés, même si prolongés par plusieurs « parenthèses », exemples ou précisions :

« C’est-à-dire :on -
                       on a cinquante, soixante ans aujourd’hui, -
                       on préférait –
                       on –
tout à l’heure Patrick parlait de ce qui se passait à Souillac dans son enfance –
                      il a peut-être cette nostalgie »

(Ce texte se pose sur l’article suivant, qui fournit une description très claire du phénomène du relâchement de l’ordre syntagmatique et propose aussi la représentation graphique utilisée ici : Blanche-Benveniste, Claire : Approche de la langue parlée en français, Ophrys, 1997, p.17-22)

e) Deux petites recherches
      ·          Sur l’émission
Face aux Français… Conversations inédites a été lancée en septembre 2010 sur France 2. Le format prévoit deux personnes célèbres du débat politique ou culturel qui seront questionnés par un groupe de « Français », souvent des journalistes, activistes, artistes ou intellectuels, eux aussi. Les discussions entre les deux parties, animées par Guillaume Durand, ont pour but de découvrir les convictions des deux célébrités dans un certain domaine, préférablement dans un où on ne connaît pas encore leurs opinions.
Même si les discussions de Face aux Français… Conversations inédites ont parfois été controverses, même provocantes (p.ex. à un moment dans la séance dont sont tirés les extraits ci-dessus, Mahmoud Doua a nié la persécution des minorités chrétiennes au Moyen-Orient), l’émission n’attirait pas un grand public. De plus, on lui a reproché d’être un calque de l’émission Face à France qui, dans les années 80, à déjà été animée par Guillaume Durand. En 2011, France2 a arrêté Face aux Français… Conversations inédites, malgré son animateur.
  
(Sources :


·         La loi de 1905
Cette loi se constituait à l’origine de deux articles : le premier assurant la liberté de vivre d’après sa religion (liberté de conscience et libre exercice du culte), le deuxième insistant sur la neutralité de l’état face à la religion. La loi avait pour but de régler et apaiser les tensions entre les diverses confessions chrétiennes et juives d’un, et entre l’église catholique et le gouvernement d’autre part. L’église occupait à l’époque une position politique encore beaucoup plus influente qu’aujourd’hui. La loi de 1905 réservait tout ce qui est religieux à la vie privée et l’excluait de la politique. Elle est souvent vue et célébrée comme le point de départ de la laïcité de l’état français.
Avec le temps, la loi subit certaines exceptions et applications. Certains y voient un compromis qui mène à une coexistence plus pacifique, des autres s’en sentent plutôt menacés.
De toute façon, avec une population musulmane de plus en plus grande, la nécessité de réformer cette loi issue d’un contexte exclusivement judéo-chrétien a été de plus en plus réclamée.
De nouveau, les opinions sont très partagées : Les uns demandent une application plus ouverte de la loi, une coopération facilitée entre les acteurs religieux et l’état, tel l’espoir, promouvrait une religion plus modérâte, moins dépendante de courants potentiellement radicaux au-delà de l’influence de l’état. D’autres voix, contrairement aux premières, demandent une application plus stricte de la loi de 1905. La religion, ainsi le raisonnement, ne doit avoir aucune influence dans les affaires politiques et même publiques.
Ces discussions ont été encore plus animées après les attentats perpétués par des extrémistes religieux à Paris.

(Sources




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